• Recette pour 8

    Ingrédients:

    8 homards bretons d'environ 300 à 400 grammes chacun
    6 échalottes
    1 cuillèrée à soupe de concentré de tomate
    1 dl de bon cognac
    2 à 3  dl de bouillon de veau
    une pincée de safran
    une pincée de piment d'espélette
    sel, poivre
    50 grammes de beurre ramolli

    Réalisation

    Faire cuire les homards au court-bouillon environ 8mn (les jeter vivants dans l'eau bouillante et les laisser à feu vif 8 mn). Bien égoutter. Cette cuisson peut se faire quelques heures avant le repas.

    Une heure avant de servir préparer la sauce :
    Faire blondir les échalottes hachées finement dans une noix de beurre
    Ajouter le cognac. Chauffer. Flamber.
    Ajouter le bouillon de veau, le concentré de tomate délayé, la pincée de safran, la pincée de piment, le sel le poivre.
    Laisser réduire de moitié, doucement.

    10 minutes avant de servir, poser les homards dans la lèche-frite du four, sur le dos, à mi-hauteur. Arroser la chair de la queue d'une petite cuillerée de jus. Laisser 10 mn à 200°.

    Ajouter le beurre ramolli au reste de la sauce et mélanger au fouet sur feu doux. Quand la sauce a une belle apparence onctueuse, la verser dans une saucière chaude.

    Sortir  les homards du four et les servir accompagnés de la sauce

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  • publié sur le site de l'ISP ce 23 décembre

     

    Les premières réactions au décès de Jean-Pierre Astolfi annoncé  à quelques collègues ce 22 décembre, disent bien l’essentiel :

    « C'est une triste nouvelle et une grande perte pour la pédagogie à un moment où nous avons besoin de tout le monde »

    « Tout ce que j'ai appris de lui, tout ce qu'il a apporté à la didactique (et pas seulement des sciences) restera encore longtemps à la pointe »

     « C’est un grand penseur qui s’en va »

     « Ça va faire un vide. Les pédagogues non doctrinaires sont rares et les universitaires sans ego surdimensionné aussi »

    « Ses interventions et sa gentillesse étaient toujours très appréciées. Indéniablement sa disparition sera durement ressentie par toutes celles et tous ceux qui accordent de l'importance aux sciences de l'éducation »

    « La période que nous vivons est rude pour les scientifiques qui ont centré leur travail sur l'apprentissage. Espérons vite des jours meilleurs à la hauteur du travail de personnes telles que Jean-Pierre Astolfi »

    C’est « la perte d’un ami tranquille et fidèle », celui de bien des « combats pédagogiques »

    « J'ai eu plusieurs fois l'occasion de travailler avec lui et je l'avais -comme beaucoup- énormément apprécié pour ce qu'il apportait et pour l'homme qu'il était ».

    « Une bien triste nouvelle.... les travaux de cet humaniste ont éclairé tout d'abord ma pratique d'enseignant puis celle de formateur »

     

    Par la lecture des « Cahiers » je connaissais sa signature et j’appréciais ses contributions  depuis les années 80. Mais c’est à l’ISP que je l’ai rencontré pour la première fois à l’occasion  de la « Session d’été 1989 », clin d’œil au bi-centenaire de la Révolution française : « Existe-t-il des Révolutions en pédagogie ? ». L’une des conférences, le 4 juillet, était assurée par Jean-Pierre. Elle portait sur « Le renouveau des didactiques ». J’ai été conquise par la clarté et la qualité du propos et par l’authenticité et la simplicité de la personne.

     

    Nous avons fait plus ample connaissance dans le cadre du séminaire de maîtrise ISP en sciences de l’éducation dont Jean-Pierre était l’un des intervenants. C’est Albert Moyne, alors directeur de l’ISP qui l’avait sollicité pour faire partie de l’équipe des intervenants du cursus de sciences de l’éducation de l’ISP. J’ai suivi son séminaire de maîtrise - qui se déroulait à l’étage au-dessus de mon bureau - comme « auditrice libre », par intérêt et pour le plaisir. Un intérêt qui m’a conduite à l’associer plus étroitement  aux travaux de notre équipe. Il intervenait chaque année auprès des enseignants en formation initiale sur « le rapport au savoir », sur « l’erreur un outil pour enseigner ». Il est venu plusieurs fois travailler avec les conseillers pédagogiques et l’équipe des formateurs sur ces mêmes questions. Il était intervenu dans notre cycle de conférences en 2005 sur le thème « Le métier d’enseignant entre deux figures professionnelles » quelques mois après la sortie de son ouvrage : « Education et formation, nouveaux enjeux, nouveaux métiers ». Des interventions toujours très clarifiantes, une présence jamais pontifiante, un souci permanent de mettre à disposition les résultats de la recherche sans être prescriptif, une immense culture qui le conduisait à puiser des références et donner des repères débordant largement son domaine de spécialité : la didactique des sciences.

     

    Ceux qui ont fréquenté Jean-Pierre Astolfi et ont travaillé avec lui auront, chacun et chacune, leurs souvenirs, leurs anecdotes, leur part d’héritage.  Les miens associent de façon étroite l’homme et ce qu’il m’a transmis.  Astolfi est très certainement un des auteurs que je citais le plus souvent en formation et dont je recommandais constamment la lecture des ouvrages. Un de ceux qui me mettait la pensée en mouvement, m’ouvrait des pistes pour travailler. « L’école pour apprendre », « L’erreur un outil pour enseigner » « Education et formation, nouveaux enjeux, nouveaux métiers » et le dernier « La saveur des savoirs » sont, pour moi, des références essentielles, sur le fond comme sur la forme : une pensée, une culture, un art de la transmission, une écriture lumineuse.

     

    A la rentrée 2008 il prévenait les collègues de l’ISP qui l’avaient sollicité pour ses interventions habituelles qu’il ne pourrait les assurer « pour raison de santé ». Nous savions que c’était sérieux. Le 20 décembre 2008, il m’envoyait un mail évoquant le début de son traitement «  qu’il supportait bien » disait-il. Nous lui avions envoyé un mail le 1er décembre, inquiets d’être sans nouvelles. Ce 21 décembre, il quittait ce monde, trop tôt, beaucoup trop tôt. Il avait encore tant à dire, tant à écrire. Cette année devait être celle de sa « retraite », une retraite qui lui en aurait donné le temps…

     

    Les images et les formules s’entrechoquent : celle des « lunettes » avec lesquelles on « construit » le réel : « on voit avec le cerveau autant qu’avec les yeux » disait-il souvent, celle des pilolavas de Corse, celle de lectures  faites grâce à lui : Bachelard, Delbos et Jorion, Popper pour n’en citer que quelques-unes. Son sourire. Son écoute des objections, dans les débats qui suivaient ses interventions. La patience avec laquelle il prenait le temps de répondre, d’argumenter. Le ton toujours respectueux …même s’il avait en face de lui des contradicteurs. Les crispations idéologiques l’atteignaient cependant. Je l’ai vu une fois manifester du découragement face au scepticisme ironique de  quelques jeunes enseignants en formation initiale à l’égard des conceptions socio-constructivistes de l’apprentissage

     

    Avec sa carrure, sa chemise à carreaux et son gilet sans manches, il ressemblait davantage à un bûcheron québécois qu’à un professeur d’université. Derrière cette apparence qui était sans doute perçue comme peu protocolaire en certains lieux, une belle intelligence,  une vraie générosité, une profonde humanité.

     

    Sa présence et sa pensée nous manqueront cruellement.

     

    Son dernier legs aura été pour nous redire « le plaisir d’apprendre » et « la saveur des savoirs ».

     

    On n’oubliera pas que cette saveur et ce plaisir passent par ceux qui les incarnent.

     

     


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  • publié sur le site du CRAP

    Agnès van Zanten, Choisir son école. Stratégies  familiales et médiations  locales, PUF, Le
    lien social, 2009. 283 p., 24 euros.

     

     

     

    Cet ouvrage rend compte d’un travail engagé depuis dix ans par Agnès van Zanten et ses équipes de recherche. C’est la  rencontre de 167 familles  de Rueil, Nanterre, Vincennes et Montreuil qui a contribué à la constitution du corpus d’entretiens. Les fragments cités qui ponctuent « Choisir son école »  renseignent, certes, sur le choix de l’école, mais en disent beaucoup plus encore. C’est finalement une véritable sociologie des classes moyennes qui nous est proposée à partir des « stratégies familiales » développées quant aux choix scolaires. L’auteure s’attache à retracer  les  raisonnements des parents comme acteurs  sociaux,  à comprendre les  arguments qu’ils donnent aux autres  et  se donnent  à  eux-mêmes pour expliquer – justifier ? - leurs choix et les actes qu’ils posent. Au-delà des déterminants des choix parentaux qui font l’objet de la première partie du livre, elle examine aussi les médiations qui interfèrent : la négociation familiale, la circulation de jugements dans des réseaux locaux, l’influence de l’offre éducative locale et celle des régulations politiques locales et nationales, chacune de ces médiations constituant l’un des quatre chapitres de la deuxième partie.  

     

    Pourquoi avoir choisi d’enquêter près des classes moyennes ? Parce que, nous dit Agnès Van Zanten, c’est parmi eux qu’on trouve le plus grand nombre de choosers : ceux qui ont « la plus forte propension à choisir ». On va donc les interroger  à un moment décisif du parcours scolaire: l’entrée en 6ème d’un enfant. Les communes franciliennes retenues intéressent en ce qu’elles diffèrent à la fois du point de vue de la composition sociale et de l’offre éducative locale et que, d’autre part, « la possibilité de faire un choix d’établissement est plus importante en milieu urbain et métropolitain car l’offre est plus diversifiée et accessible, ce qui alimente les ambitions des familles »[1] 

     

    Pour choisir et donc opter pour un établissement plutôt qu’un autre il faut avoir un projet, des attentes et estimer que certains environnements permettront mieux que d’autres de répondre à ces attentes dont on est porteur. Quelles sont donc les attentes des parents de classes moyennes ? Différentes selon le sous-groupe qu’elles représentent ; Agnès Van Zanten en distingue quatre, dans la lignée des travaux de Pierre Bourdieu et de Louis Chauvel : les technocrates (ingénieurs, cadres d’entreprise …), les intellectuels (chercheurs, journalistes, artistes, cadres de la fonction publique …), les techniciens (artisans, commerçants, employés des entreprises…)  et les médiateurs (travailleurs sociaux, éducateurs …) répartis selon leur position sur un axe vertical  strates inférieures/strates supérieures et sur un axe horizontal pôle économique et pôle culturel.

     

    Chez tous ces usagers de l’école appartenant aux classes moyennes supérieures et intermédiaires, on retrouve, à des degrés divers,  trois visées représentatives des trois fonctions attribuées à l’Institution. La première, surtout présente chez les  intellectuels  touche à la fonction critique de l’école qui doit permettre « d’élargir l’horizon culturel des adolescents et de développer leur curiosité ». La seconde, plus largement présente chez les technocrates, fait le pari d’un retour sur investissement avec l’espoir « qu’il s’avérera payant à l’avenir ». Cette perspective, plus instrumentale, mise donc sur l’efficacité d’une école préparant à la compétition sociale et professionnelle. La troisième visée –celle que Agnès van Zanten nomme « expressive » - plus largement sollicitée par la catégorie des  médiateurs , est davantage soucieuse du développement et de l’épanouissement des enfants. L’école idéale combinerait ces trois visées. Mais selon l’importance qu’on accorde prioritairement à l’une ou l’autre de ces trois dimensions, les stratégies familiales mises en œuvre pour le choix de l’école vont s’en trouver modifiées.

     

    Le travail fouillé et rigoureux de l’auteure et de ses équipes aboutit à la remise en cause de quelques idées reçues et à la mise en relief de quelques stratégies dominantes.  Au compte des idées reçues à réviser : les familles ne se limitent pas à des choix « instrumentaux » et ne s’enferment pas dans le rôle de « consommateurs d’école ». Ils font aussi des choix « expressifs », c’est-à-dire orientés vers le bien-être, le bonheur et le développement global de leur enfant. Du côté des stratégies dominantes, on observe des différences essentiellement liées aux possibilités offertes par les moyens financiers.  Il y a ceux qui peuvent transformer leur capital économique en capital culturel, en achetant « la qualité de l’offre scolaire » « en optant pour l’enseignement privé » ou «  par le biais des choix résidentiels ».  Ceux qui sont empêchés - faute de moyens suffisants -  de déménager,  de supporter pour plusieurs enfants les coûts d’une scolarité dans le privé … vont chercher à développer une stratégie de « colonisation » de l’établissement c’est-à-dire qu’ils vont tenter d’influer l’offre de l’intérieur  en direction de leurs enfants, par exemple en faisant pression en faveur du regroupement de leurs enfants dans des classes de bon niveau ou en choisissant des options discriminantes.

     

    L’auteure se garde de raccourcis interprétatifs qui iraient rapidement du côté d’un étiquetage et d’un jugement moral sur ces choix des familles. Elle insiste sur l’ambivalence - voire la schizophrénie- qui touche nombre d’entre elles écartelées entre une « éthique de conviction » et « une éthique de responsabilité », entre intérêts personnels et bien commun. Au bout du compte on observe que « choisir son école » est souvent source de dilemme, un dilemme entre le « moi égoïste et le moi solidaire », parfois source de malaise moral. Certains se sentent acculés entre le choix d’être de bons parents soucieux de la réussite de leur enfant ou celui de bons citoyens loyaux vis-à-vis des établissements du quartier et ne les désertant pas pour aller vers de établissements de centre ville ou des établissements privés.

    Rares sont ceux qui, comme ce père de Nanterre,  assument de façon volontariste et lucide le choix d’une école de quartier : « Si je ne mets pas mon enfant dans le quartier où j’habite comment vont se passer ses relations sociales ? S’il n’y a pas cohérence entre l’endroit où on habite et l’endroit où on met ses enfants c’est un peu difficile de garder des liens, ça veut dire élever ses enfants à l’écart des autres , pour ne prendre de l’école que l’aspect purement travail ». Il faut, pour cela, être porteur de quelques convictions comme cette mère de Vincennes qui souhaite que sa fille soit « dans la vraie vie », avec « une population mélangée » ou , comme cette mère Montreuil, faire de la défense des établissements de proximité une cause morale : « Ma fille aînée était en CM2, on était plusieurs parents tentés par l’évitement scolaire. Mais la réflexion a été : on a choisi d’habiter là, c’est bien beau, ce n’était pas cher. Mais il faut peut-être aussi en tant qu’individu accepter la population ». Ne pas choisir l’école du  quartier reviendrait à signifier aux habitants « que leurs enfants ne sont pas d’un niveau suffisant par rapport aux miens ».

     

    La tendance lourde qui se dégage de l’ouvrage est tout de même que « les choix scolaires sont utilisés comme un instrument de clôture sociale par les parents des classes moyennes ». La recherche de l’ « entre-soi » est largement présente dans les stratégies développées par les familles : « Il devait aller à M…et puis non, je n’étais pas satisfaite de l’environnement parental. […] quand je suis allée voir l’établissement scolaire, j’étais pas ravie, pas du tout même. […] Rien que de penser que mon fils pouvait se retrouver là-dedans, j’en étais malade » reconnaît cette mère de Rueil. Certains propos rapportés font frémir, tels ceux de cette autre mère de Nanterre  :« J’étais allée au collège E…, je suis allée faire la visite « portes ouvertes » […] je me suis rendu compte que c’était merveilleux ce que faisaient ces gens-là, mais que le niveau, on partait pour niveler vers le bas. C’est merveilleux pour tous les cas sociaux qu’il y avait autour de Nanterre […]. Mais je pense que c’est comme la médecine, vous avez des maladies infectieuses et des maladies cardiaques. Bon, les maladies cardiaques on les met avec les cardiaques et les maladies infectieuses avec les maladies infectieuses. Donc, je veux dire, à chaque maladie ou à chaque état sa spécialité. Elle avait quand même un milieu stable alors que les autres, c’est vrai, les familles étaient au chômage, le père tapait maman, des problèmes de drogue, les trucs classiques ». D’autres sont moins violents mais témoignent de « petits arrangements avec la conscience ». Ainsi, pour un père de Nanterre, l’engagement dans des associations de parents d’élèves « ça permet de bien connaître les enseignants mais également de bien placer ses enfants ». Telle autre mère, de Montreuil, pour qui « on ne devrait pas avoir le choix » et qui affirme « même l’école privée, je trouve que c’est vicieux », avoue dans le même temps que ses enfants « sont encore dans le public, certes, mais j’ai fait de l’évitement puisque je les ai mis dans les classes Cham[2]. »

     

    L’ouvrage se termine sur la phrase couperet : « Bref, l’Etat à la fois relaie et produit les stratégies de clôture des classes moyennes ». On ne peut que s’inquiéter du recul avéré de l’école à assurer et assumer une de ses fonctions majeures ; construire du lien social. Plusieurs résultats de recherche montrent pourtant que la mixité sociale apparaît comme un facteur favorable à la réussite des plus faibles et à l’efficacité globale des systèmes éducatifs. Pour autant, la question de la carte scolaire n’est pas simple[3] : lorsqu’elle s’applique à des territoires fortement ségrégués, elle peut être source de « double peine » pour les plus démunis qui en sont réduits à « subir les effets de leur position en termes de qualité de vie et aussi en termes de qualité d’éducation ». Mais on a vu récemment, au travers du rapport présenté par la Cour des comptes devant la commission des finances du Sénat le 3 novembre 2009, comment l’assouplissement de la carte scolaire contribue à une ghettoïsation des collèges "ambition réussite". C’est une évolution vers une carte scolaire véritablement régulée que préconisaient dans un précédent ouvrage  Agnès van Zanten et Jean-Pierre Obin[4]. Serait-ce la condition nécessaire à une inversion du processus : sortir du cercle vicieux pour aller vers un cercle vertueux ? « Agir pour favoriser la mixité nécessite un certain courage politique » soulignent les auteurs.  

     

    « Choisir son école » est un livre dense et passionnant qui rend compte avec précision, nuance et rigueur de la complexité des logiques d’acteurs et de la diversité des contextes. On appréciera en outre la qualité des conclusions de chaque chapitre qui mettent en relief de façon claire et synthétique l’essentiel du propos développé.

     

     

    Nicole Priou



    [1] Café pédagogique du 15 septembre 2009, interview de Agnès van Zanten par François Jarraud

    [2] classes à horaires aménagés musicales

    [3] http://www.cahiers-pedagogiques.com/spip.php?article3164

    [4] La carte scolaire. faits, révélations, analyses


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  • La parution des deux articles qui suivent est prévue dans le Hors série numérique des Cahiers pédagogiques : "Outils de formation"


    Constituer le groupe en lançant une journée de formation

     

    Nicole Priou

     

     

    Pour constituer le groupe, lancer une journée de formation …il y a, bien évidemment, de multiples manières de faire. Ces dernières années, je suis souvent intervenue pour des groupes de conseillers pédagogiques et tuteurs, accompagnant les PLC1 et PLC2 dans le cadre de leurs stages de pratique accompagnée ou en responsabilité. Il s’agissait de répondre à des commandes variées selon les dispositifs en place dans les différentes régions  (Champagne/Ardennes, Bretagne, Normandie, Centre, Pays de Loire …). L’intervention pouvait aller d’une journée à deux fois trois jours. Quelque soit le contexte, il s’agissait à chaque fois de clarifier les enjeux et d’outiller pour une pratique plus ajustée de l’observation, de l’accompagnement, de l’entretien de conseil et pour la rédaction du rapport ! Après avoir expérimenté de multiples façons de faire j’en suis venue à stabiliser un protocole de démarrage, mis en œuvre à quelques nuances près, à chaque début de formation de ce type.

     

    -          Une annonce de ma part : je n’arrive pas avec un déroulement prévu d’avance mais avec des hypothèses de travail à adapter au groupe en fonction de ses besoins. Le tour de table de démarrage sera donc un moment essentiel à partir duquel la négociation du déroulement se fera avec le groupe. A ce stade j’invite toujours chacun à une grande vigilance  par rapport à l’effet de halo fréquent dans les tours de table : le premier qui parle conditionne, ou au moins influence, les prises de parole qui suivent et le 9ème, 12ème etc. peut être tenté de ne pas exprimer ses questions si elles sont trop en décalage avec ce qui a déjà été dit. Nommer cet effet ne résout pas tout …mais peut faciliter l’expression d’une pensée divergente.

     

    -          Le tour de table de présentation des participants s’engage ensuite à partir de deux consignes :

    o        Dire son ancienneté ou sa nouveauté dans la fonction de tuteur/conseiller pédagogique. Si ancienneté il y a quel est le type d’accompagnement déjà réalisé (pratique accompagnée PLC1 ? pratique accompagnée PLC2 ? responsabilité PLC2 ? tutorat de lauréats de concours internes (CAER EQP) ?

    o        Formuler les deux points prioritaires auxquels ce temps de formation est censé apporter des réponses, des outils, des clarifications : « à la fin de cette formation j’aimerais avoir clarifié, résolu, avancé sur … »

     

    -          A partir de la prise de notes effectuée pendant le tour de table :

    o        je traite rapidement ce qui est plus de l’ordre de l’information que de la formation. En effet si le groupe ne dispose pas de références communes et stabilisées en matière d’information cela peut plomber le travail, le parasiter, être source de malentendus. Des informations ont pu être données auparavant, oralement ou par écrit, l’expérience montre qu’elles n’ont pas toujours été intégrées. Il n’est pas rare, par exemple, qu’un tuteur ou conseiller n’ait pas compris, ou retenu, que le rapport qu’il rédige est un document administratif officiel qui sera examiné, avec d’autres évaluations, par un jury académique pour instruire de dossier de qualification du stagiaire.

    o        je propose, en la soumettant au groupe,  une première organisation des questionnements professionnels qui ont été évoqués. Si possible j’organise ces derniers selon la typologie qui me semble adaptée à ce qui a été formulé par le groupe. Assez souvent les fonctions majeures du conseiller servent de principe organisateur (accompagner, conseiller, former, évaluer).

     

    -          Ensuite détermine avec le groupe, et en fonction du temps imparti, les questions qui seront traitées en priorité. Il peut m’arriver de décider sans négociation (mais en expliquant les motifs du choix) de l’ordre de traitement. Exemple : si la formation se situe à une date proche de la remise d’un rapport à l’IUFM, l’urgence de tous va aller du côté de la rédaction du rapport. Je peux toutefois faire le choix de revenir d’abord sur des questions de méthodologie de l’observation parce j’ai entrevu au moment du tour de table, une propension aux « raccourcis interprétatifs » liée à la difficulté à distinguer au moment d’une visite de classe, relevé de faits et jugements de valeur.

     

    -          Je reprends point par point ce dont on a convenu avec le groupe. Je l’aborde en puisant dans le répertoire habituel des techniques d’animation ou de production d’un groupe d’adultes (recherche individuelle, à deux ou en petits groupes, blason, rédaction de mini-écrits, mise en relief des « bonnes pratiques », des écueils etc.). Avant tout travail plus approfondi, je soumets chaque question apparue au tour de table à l’ensemble du groupe et invite ceux qui ont déjà des éléments de réponse ou des expérimentations en cours à les partager avec le groupe. La convergence des réponses ou leur diversité sont une ressource supplémentaire à partir de laquelle le groupe peut aller plus avant dans son travail d’analyse et de construction d’hypothèses de travail affinées, ré-ajustées..

     

    -           La suite s’enchaîne ensuite en essayant de tenir à la fois la dynamique des échanges et des apports du groupe, les impératifs de temps, la nécessité de poser quelques repères stables pour cadrer le travail. Si la formation dure plusieurs jours, je fais un point d’étape à la fin de chaque demi-journée pour mettre en relief où on en est et anticiper sur l’étape suivante. J’ai toujours en réserve un diaporama sur les questions traitées. J’y ai mentionné en particulier quelques références théoriques (selon les questions traitées : définitions de concepts, résultats de recherche, données statistiques, indications bibliographiques, mots-clés qui synthétisent les points de vigilance à avoir etc.).  Je peux, si besoin, naviguer dans ce diaporama en fonction du travail du groupe, de ce qui est à clarifier ou stabiliser. Les participants peuvent récupérer ce diaporama en fin de formation.

     

    La difficulté principale de cette façon de procéder est la gestion du temps, surtout pour une formation courte : les questions ne sont pas moins nombreuses pour un groupe réuni pour une journée de formation que pour trois jours !

     

    Une fois contrôlé cet écueil, la démarche s’est avérée à chaque fois intéressante :

    -          en nommant ses deux urgences, chacun se met dans la démarche de résoudre deux problèmes …et d’en prendre les moyens,

    -          donner en premier lieu la parole aux pairs pour chaque question posée impulse une dynamique de mobilisation des ressources non négligeables engrangées par des enseignants déjà confirmés. De plus la diversité des propositions met en relief qu’il y a souvent plusieurs réponses à une question posée. Réponse dont la pertinence est à entrevoir en fonction des situations, des contextes et des acteurs en présence. Il arrive aussi que des visions antagonistes s’expriment : c’est alors l’occasion, souvent, de toucher à des questions fondamentales sur les conceptions du métier, du rôle de l’accompagnateur, de sa posture.

    -          Négocier avec le groupe, au fur et à mesure, le programme responsabilise les participants en les contraignant à faire des choix. La frustration – surtout si la formation est courte – de ne pas avoir fait le tour de la question est alors portée par tous et non rejetée sur le seul intervenant !

    -          Si on part du principe que lorsque des professionnels confirmés se réunissent la plupart des réponses aux questions qu’ils se posent sont dans le groupe, il est plus formateur que le groupe élabore ses réponses plutôt que d’attendre qu’elles soient données par l’intervenant. On peut espérer par ce biais impulser une démarche identique dans la relation conseiller/stagiaire, voire enseignant/élève.

     

    On n’en conclura pas pour autant que, dans ce cas de figure, le rôle du formateur est minime :

    -          il est garant du cadre : objectifs, gestion du temps, qualité des échanges …

    -          il « orchestre » les échanges, reformule, synthétise, re-problématise, renvoie à des typologies, des références théoriques, introduit si nécessaire tel ou tel apport.

    -          il ouvre des perspectives, aide le groupe à dégager des pistes d’action possibles

     

    Ces choix reposent, bien sûr, sur quelques convictions tirées de l’expérience et des feed-back de fin de formation mais aussi du travail et de la réflexion avec des collègues, voire même des apports issus d’une supervision de nos propres pratiques :

    -          Se former suppose une mise en mouvement, une mobilisation, une re-problématisation

    -          on se forme lorsqu’on se déplace : des « allant de soi » sont interrogés, croisés avec d’autres points de vue, mis en perspective avec des savoirs de la pratique ou des savoirs théoriques. Encore faut-il que ces allant de soi émergent, aient droit de cité, soient plutôt questionnés par la confrontation avec des pratiques qui paraissent judicieuses mais « auxquelles on n’avait pas pensé », que par une parole de surplomb qui jugerait d’entrée de jeu. D’où l’importance que les questions, les représentations, les hésitations, les résistances, les peurs, les certitudes  …puissent se dire en début de formation

    -          on se forme aussi lorsqu’on consolide des intuitions, lorsqu’on clarifie ce qui était flou ou incertain, lorsqu’on comprend mieux ce qui nous anime, lorsqu’on identifie mieux ses marges de manœuvre, d’où l’intérêt d’ouvrir les possibles, de constituer avec le groupe un répertoire de « variantes » de l’activité pour que chacun reparte avec un spectre élargi.

     

     

    Autant dire que cette démarche « sans filet » se met plus volontiers en œuvre quand on a déjà une pratique confirmée de formateur et que le débutant gagnera peut être à mettre en œuvre une façon de faire plus balisée.

     

    On l’aura compris, dans cette perspective, le lancement de la formation et la constitution du groupe passent peu par des préliminaires mais focalisent plutôt d’entrée de jeu sur les objets communs de travail que représentent les problèmes à résoudre et les décisions à prendre par rapport à l’accompagnement du stagiaire.

     

    Une « clôture » qui ouvre des voies pour la pratique quotidienne.

     

    Nicole Priou

     

    De la même façon que le sens d’un apprentissage risquerait de se diluer si l’enseignant n’avait pas pensé aux modalités d’évaluation au moment de la conception de la séquence, de même ouverture et clôture d’une formation marchent ensemble et prennent sens l’une par rapport à l’autre. La façon dont on démarre une formation devrait préparer ce qui se fera pour la clore. Si l’ouverture permet aux participants de formuler leurs questions professionnelles par rapport au programme annoncé, la clôture devrait leur offrir la possibilité de commencer à mesurer le chemin parcouru.

     

    Premier point d’attention :

     

    Ce n’est certes pas à chaud qu’on peut le mieux apprécier ce qui s’est passé. On a besoin d’un peu de recul et de distance. Toutefois, il me semble que le temps de la formation doit inclure le temps de la relecture de ce qui s’y est construit, transformé, élaboré. Pour deux raisons au moins :

    -         si ce temps n’est pas proposé en cours de formation, de nombreux participants ne le prendront pas a posteriori, happés par l’action et les urgences du quotidien

    -         à supposer même que ce temps soit pris personnellement en différé, les pairs qui ont vécu le même dispositif ne seront plus là. On se prive donc du bénéfice qu’offre la confrontation des points de vue et des expériences des autres. Tel participant peut ainsi faire le constat que le travail effectué a renforcé ses résistances là où les effets sont tout autres chez ses collègues. Tel autre va expérimenter que la priorité qu’il se donne en fin de formation est largement partagée par les membres du groupe. Ces prises de conscience peuvent avoir leur part dans les effets de la formation.

    On l’aura compris, il me semble utile en fin de formation de donner un temps aux participants pour qu’ils s’interrogent et rendent explicites pour eux-mêmes, pour leurs pairs et pour le formateur les renforcements, déplacements, nouvelles questions provoqués par le travail qui a été conduit pendant l’action de formation.

     

     

    Deuxième point d’attention

     

    Une bonne formation, si elle met à disposition des ressources,  ne remplit pas, ne « gave » pas …. elle ouvre des perspectives, creuse des besoins, laisse sur des frustrations. Il est des questions/bilans de fin de formation qui – telles que formulées – induisent l’expression de ce qui a manqué, de qui laisse sur une faim. L’effet de halo[1], fréquent dans les groupes, peut faire caisse de résonance pour peu que le premier à parler soit celui qui a le moins trouvé son compte dans ce qui était proposé.  Est-ce cela qui est utile à ce moment précis ? Qu’en ressortira-t-il de significatif ?  Pourquoi ne pas faire le choix de conduire plutôt les participants à se projeter sur leur retour sur le terrain en les invitant à formuler une piste d’action réalisable à leurs yeux : « Et maintenant qu’avez-vous envie de reprendre à votre compte ? Qu’est-ce que vous vous voyez faire dans vos classes ? avec votre stagiaire ? etc. ». Ce genre de question appelle des prises de parole constructives qui ouvrent vers un transfert dans les pratiques des acquis de la formation. Les propositions formulées fournissent de plus un feed-back utile au formateur : il peut apprécier comment les représentations ont bougé, ce qui a été utile aux participants, ce qui aurait encore besoin d’être travaillé etc.

     

    Vers de nouvelles questions

     

    Lorsque l’action de formation qui s’achève s’inscrit dans un dispositif d’accompagnement ou de formation où on sera conduit à retrouver le même groupe, il est utile de donner un temps pour que s’exprime ce que pourrait être l’étape suivante : concepts à clarifier, outils à construire, questions à reprendre et approfondir, expérimentation à mener etc. Le groupe participe ainsi à la définition des futurs objectifs. Le formateur pourra s’appuyer sur les questionnements des participants pour concevoir l’étape suivante. Le contrat s’en trouve clarifié et explicité.

     

     

    Un service de suite

     

    Le numérique rend possible des échanges post-formation qui peuvent s’avérer utiles : envoyer en différé un diaporama, un document, une référence bibliographique voire adresser aux participants une trace écrite sur les points centraux du travail effectué : problèmes, clarifications conceptuelles, pistes d’action possibles. Si on s’y met le soir même c’est peu coûteux  en temps puisqu’on ne fait qu’ajuster à la problématique du groupe les ressources qu’on avait préparées en amont, et c’est en général utile aux stagiaires et apprécié de leur part. C’est, de plus, un bon exercice pour le formateur : ce passage à l’écrit lui permet de formaliser de façon plus explicite ce qui s’est travaillé et cette formalisation contribue à la capitalisation de son expérience de formateur. On peut aussi recueillir une information plus précise sur l’appréciation des stagiaires en les invitant à renvoyer un questionnaire.

     

     

    Ouverture plutôt que clôture

     

    Dans tous les cas il s’agit moins de procéder à une « clôture » que d’extraire et mettre en relief ce qui nous a semblé correspondre aux questionnements professionnels des participants et leur ouvrir des possibles.

    A partir du moment où  on a la conviction qu’il est important que toute action de formation s’achève en prenant en compte ces points de vigilance, on peut en fonction du groupe varier les modalités de leur mise en œuvre. Si on dispose d’un temps suffisant on peut proposer à partir de la question : « Et maintenant qu’avez-vous envie de reprendre à votre compte ? Qu’est-ce que vous vous voyez faire demain dans votre pratique quotidienne ?»

    -         un temps personnel d’écriture,

    -         un temps d’échange par binômes ou trinômes,

    -         l’expression en grand groupe de deux ou trois mots-clefs,

    -         un bref temps de retour sur ce qui s’est exprimé.

    On peut aussi, si le temps est compté, inviter chacun à quelques minutes de relecture des notes prises en cours de formation avant de formuler la piste d’action retenue.

     

    On peut encore utiliser un métaplan[2] : chaque participant utilise un gros feutre pour inscrire sur les  étiquettes de son choix une question et/ou un « libre propos » et/ou une piste d’action. Il va ensuite les positionner sur le panneau. La physionomie du groupe en fin de formation peut ainsi être visualisée par les participants. Le formateur peut choisir de s’arrêter là ou prendre un temps de commentaires avec les stagiaires.

    De multiples variantes sont possibles que le formateur sortira de sa besace en fonction de la situation, du climat du groupe et du temps disponible.

     



    [1] Voir l’article constituer le groupe en lançant une formation

    [2] Le formateur affiche un grand panneau en papier kraft, il le vaporise à la bombe de colle repositionnable  et y mentionne trois zones différentes. Il prévoit  trois jeux d’ « étiquettes » (feuilles 10 X 15 ) de trois couleurs différentes : l’une pour la formulation d’une question, l’autre pour une piste d’action retenue, la troisième pour un « libre propos »


     


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