• Etretat mai 2011

    Etretat mai 2011

      

     


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  • à paraître dans ECA

    Quand l’école prétend préparer à la vie…
    Développer des compétences ou enseigner d’autres savoirs ? Philippe Perrenoud, ESF, octobre 2011
      
    La question majeure autour de laquelle s’organise tout l’ouvrage de Perrenoud est celle des finalités de l’école fondamentale : que faut-il enseigner à tous ?  « On ne peut répondre à cette question qu’au nom d’un modèle de société et d’une vision de l’être humain »[1]. Or comment faire s’accorder sur des finalités communes partisans d’une école méritocratique et partisans d’une école démocratique ? La distance paraît bien grande entre la rationalité revendiquée par l’auteur pour négocier un accord sur les finalités de l’école  et  la somme des propos irrationnels, polémiques, voire haineux qui s’échangent depuis plus d’un quart de siècle – disons depuis les effets de la massification - à propos de conceptions antagonistes de l’école.Le débat sur les contenus est l’un des lieux d’affrontement où se cristallisent les intérêts divergents "Les connaissances scolaires n’ont pas été choisies en priorité pour préparer le plus grand nombre à la vie. Elles sont enseignées avant tout parce qu’elles sont considérées comme des bases indispensables à ceux qui approfondiront la même discipline dans les cycles d’études suivants. Ces connaissances constituent certes un socle mais c’est celui des études ultérieures"[2]

    Quand on s’interroge donc sur la révision des programmes de l’école obligatoire  quelle fraction de la jeunesse a-t-on comme référence majeure ?  Philippe Perrenoud choisit son camp : "Ceux que l’école devrait mieux préparer à la vie sont ceux qui sortiront du système éducatif sans avoir acquis le niveau de culture suffisant pour apprendre facilement à l’âge adulte ce qu’ils n’auront pas appris à l’école obligatoire"[3].

    Les mêmes dilemmes se retrouvent lorsqu’il s’agit d’établir un référentiel de compétences et de les hiérarchiser car établir des priorités engage des choix de valeurs, ce que souligne Bernard Rey cité par l’auteur : "Il n’est pas équivalent de développer une compétence aux placements financiers ou une compétence à la lecture de la littérature classique […] Proposer un référentiel de compétences utiles à la société et à la vie n’est-ce pas donner un privilège à une manière de vivre?" [4]

    Pourquoi l’approche par compétences suscite-t-elle la controverse ?  Elle tournerait le dos aux connaissances ? Faux problème selon Perrenoud : "la réduction de la culture aux connaissances est une vision indéfendable d’un point de vue anthropologique. L’être humain est d’abord dans l’action, sa pensée et sa culture s’inscrivent le plus souvent dans un rapport pragmatique au monde. Les compétences font partie de la culture !"[5] Une démonstration convaincante et des prises de position réaffirmées. L’auteur ne sous-estime pas pour autant les difficultés auxquelles s’affronte le travail par compétences dans le cadre scolaire. On a du mal à s’accorder sur compétences/habiletés/objectifs ou encore on confond  tâche et situation. Perrenoud  identifie minutieusement les sources de malentendus et  propose des clarifications conceptuelles.

    La seconde partie : "Un curriculum déséquilibré"  fait l’inventaire des savoirs susceptibles de préparer à la vie : ceux qui font actuellement l’objet d’enseignements au travers des disciplines scolaires mais aussi des "éducations" (au développement durable, à la citoyenneté, au fait religieux etc.). Mais Perrenoud évoque aussi les disciplines largement absentes de la scolarité obligatoire : psychologie, sociologie, droit, entre autres. Un état des lieux qui le conduit à souligner à quel point le curriculum actuel est déséquilibré et prend peu en compte de nombreux savoirs dont un adulte aurait besoin pour comprendre le monde dans lequel il vit et s’y comporter de façon lucide et éclairée.

    Face à l’inventaire de ces manques une rééquilibration serait nécessaire mais elle est peu probable selon l’auteur. Trop de facteurs conduisent à en douter : diversité des points de vue, conflits d’intérêt entre classes sociales, logique de maintien des privilèges par ceux qui les détiennent, défense de territoires des empires disciplinaires. Les recherches menées avec d’autres chercheurs de pays francophones (Belgique, Suisse, Québec …) lui permettent de pointer  le défaut majeur du socle français, à ses yeux "se contenter d’avoir reformulé ce que l’école enseigne déjà depuis longtemps, sans la moindre enquête sur la vie des jeunes adultes, qu’ils soient résignés ou indignés, privilégiés ou exclus"[6]. Cette  enquête sur les "pratiques de références" des citoyens permettrait de décider des contenus à enseigner non  à partir des savoirs savants, mais à partir des usages sociaux.

    Nous en sommes loin car "comprendre, c’est contester l’ordre des choses" nous dit l’auteur et certains décideurs n’ont pas toujours intérêt à ce que les citoyens soient plus savants ou plus compétents. Hélas.

    Nicole Priou 

    1]  Page 2
     [2]  Page 19
    [3] page 19
    [4] Bernard Rey 2004 page 239/240 cité par Philippe Perrenoud  page 39 
     [5] Page 61
     [6]  Entretien avec Les Cahiers pédagogiques http://www.cahiers-pedagogiques.com/spip.php?article7652  

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  • une version courte de cette recension a été publiée sur le site du CRAP et dans le n° 494 des Cahiers pédagogiques

    Anne Barrère, L'éducation buissonnière - Quand les adolescents se forment par eux-mêmes, Armand Colin, 2011, 228p

    Explorer " un continent éducatif qui se fait aujourd'hui ailleurs et autrement que dans les institutions scolaires et familiales"  : tel est le projet du dernier ouvrage d’Anne Barrère.  Pour le mener à bien, l’auteure s’intéresse aux activités électives des adolescents "ce continent large" qui va de la musique au sport en passant par internet, la danse et les jeux divers, et dans lequel "ils grandissent, se transforment et se construisent" (10) Elle fait ce choix parce que, à ses yeux,  face à l’impossibilité actuelle pour l’école de clarifier son projet, l’éducation prend un nouveau visage. Il convient donc de voir de plus près ce qui se passe du côté des adolescents lorsqu’ils ne sont ni à l’école, ni en famille en l’examinant avec la volonté de se mettre à distance des filtres habituels des adultes prisonniers de « leurs paniques morales » lorsqu’ils parlent des jeunes.

    Pour mieux savoir donc ce qui se joue dans la sphère d’autonomie juvénile, en dehors du regard des parents ou des enseignants,  dans un contexte présenté au chapitre 1 où "l’école perd le monopole du projet éducatif",  Anne Barrère a mené une enquête pendant deux ans, dans le Nord/Pas-de-Calais,  près d’une centaine d’adolescents majoritairement de troisième et de terminales, de tous milieux sociaux, scolarisés dans des types d’établissements différents.

    Selon l’auteure " l’éducation passe avant tout par une série d’épreuves que les acteurs sont contraints d’affronter" et à partir desquelles se forme leur caractère. C’est donc le face à face avec ces épreuves qui sera exploré et servira à l’analyse du matériel recueilli (présenté en annexe)  . Anne Barrère choisit d’en retenir quatre, significatives à ses yeux : l’excès, l’intensité, la singularité, le cheminement.

    Cette plongée dans un continent, pour une part opaque aux adultes, est riche de découvertes qui n’épuisent sans doute pas les secrets de la vie adolescente mais ont le grand mérite d’éviter deux écueils : celui de l’admiration inconditionnelle ou au contraire celui de la dénonciation. Nous relèverons parmi ces découvertes  celles qui peuvent plus particulièrement interroger l’école.  Les adolescents, nous dit Anne Barrère,  sont «"à la recherche d’intensité". Ils aiment "être à fond" dans ce qu’ils entreprennent. Et lorsqu’il y a perte d’intensité la tentation est de décrocher. D’où de multiples expériences d’engagement/dégagement observées dans leurs activités électives, expériences qui conduisent certains adultes à les juger inconstants dans leurs choix. Le constat  pourrait être banal. Ce qui l’est moins c’est ce l’auteur considère comme la source de cette intensité : "jamais en soi, mais dans l’environnement proche, que ce soit par les biais des énergies multiples que l’on reçoit des autres ou par les ambiances qui les enveloppent". L’institution gagnerait sans doute à s’interroger sur ces environnements qu’elle propose aux élèves, sur les moyens qu’elle se donne pour être « source d’énergie » et pour "maintenir l’intensité".  Faut-il pour cela  "enseigner de manière moins exhaustive des sujets et des exercices plus difficiles" ?

    La confrontation à la troisième épreuve, le "défi de la singularité" (chapitre 4) permet à Anne Barrère d’aborder un autre point majeur de son analyse : la recherche d’une singularité qui sonne juste est une préoccupation constante des adolescents qui ont participé à l’enquête. Comme le dit Margot "j’ai envie d’être unique mais, bon, tout le monde fait comme moi". On aurait tort d’examiner leurs comportements au travers du seul prisme de la "tyrannie de la majorité". Pourtant créer, être authentique, se démarquer n’est pas sans risques pour eux. Comment à la fois occuper une place singulière dans un collectif et ne pas en être exclu ? Les collectifs de pairs sont parfois despotiques : c’est particulièrement sensible dans le domaine vestimentaire. Ce qui est compliqué dans des groupes qui se choisissent l’est encore plus à l’école qui les impose. L’école peut être le lieu d’un écartèlement entre "grandeur scolaire" et "grandeur juvénile": comment prend-elle en charge ce problème ?

    Face à la quatrième épreuve (ch. V), celle du cheminement, une autre question cruciale est posée à l’école : "on peut se demander si l’orientation officielle propose une autre éducation qu’une éducation au réalisme, et souvent, il faut le dire, à la résignation sociale" (205) Quelle place l’école fait-elle au rêve ?  L’école d’aujourd’hui est au service de quel projet ? Ne conviendrait-il pas de clarifier ce qui semble souvent confus ?

    Ils ne vont pas si mal, ces ados, nous dit l’auteure dans la dernière phrase du livre. Ils réussissent plutôt bien – on l’aura compris à la lecture – à "se former par eux-mêmes". Reste une énigme que l’approche sociologique à elle seule ne peut sans doute pas lever : à quoi cela tient-il que certains  parviennent beaucoup mieux que d’autres à tirer parti de la confrontation à chacune des  épreuves à affronter ? Le groupe de pairs, certes, peut être un appui utile mais lorsqu’ils sont renvoyés à eux-mêmes d’où leur vient ce qui les met en mouvement ou au contraire les neutralise ? Quelle part y occupe ce qui s’est progressivement mis en place à l’école ou dans la famille ? Comment s’articulent transmission horizontale et transmission verticale ?  Le mot « norme » revient fréquemment dans le propos d’Anne Barrère. On peut se demander où s’origine le rapport à cette norme. L’auteure évoque l’importance pour les ados des "autruis significatifs" qu’ils croisent sur leur chemin : qu’est-ce qui fait sens pour eux dans ces rencontres ?  Un ouvrage récent de Michel Fabre « Eduquer pour un monde problématique» invite à "apprivoiser le devenir" dans notre monde mouvant grâce aux  boussoles et cartes transmises par l’expérience, la culture. Ce que propose Michel Fabre n’est pas si éloigné de ce que préconisait naguère Edgar Morin -plusieurs fois cité d’ailleurs par Anne Barrère - "comprendre l’incertitude du réel, savoir qu’il y a du possible encore invisible dans le réel [...] sachons donc espérer en l’inespéré et œuvrer pour l’improbable". Et, pour cela,  peut-être convient-il de ne pas tuer les rêves des ados : "L’éducation du caractère n’est plus de faire face à un verdict scolaire incontournable mais à un espace flou de possibles et d’incertitudes, qui peuvent, sous certaines conditions, préparer aussi leur avenir."

    Ce travail sur "l’éducation buissonnière" mené par Anne Barrère fait sortir de la clandestinité toute une partie, jusque là invisible, de l’éducation des adolescents. Il le fait sans nostalgie d’un âge d’or, sans angélisme,  avec confiance. Avec lucidité aussi sur les inégalités de trajectoires : tous ne disposent pas des mêmes appuis et des mêmes contextes pour effectuer le travail sur soi nécessaire à toute construction personnelle. Pour être "buissonnièr" cette éducation n’en comporte pas moins des entraves avec lesquelles elle a  à composer.

    Un voyage salutaire et passionnant dans les coulisses de l’adolescence.

    Nicole Priou


    [1] Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur, UNESCO, 1999

     


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  • à paraître (version courte) dans ECA

    Michel Fabre, Éduquer pour un monde problématique. La carte et la boussole, Paris, PUF, juin 2011, 220 pages, 24€

     Le titre de l’ouvrage retiendra l’attention de possibles lecteurs. Qu’on ne se méprenne pas : le parcours auquel nous invite Michel Fabre  est exigeant. Agrégé de philosophie l’auteur déroule une démonstration rigoureuse et parfois ardue qui pourrait bien laisser en chemin ceux qui sont rebutés par les références philosophiques et les approches théoriques. Pourtant l’exercice est salutaire et invite, au-delà des messages délivrés, à entrer dans une démarche : problématiser et concevoir l’éducation comme problématisation.

     Les quatre premiers chapitres situent le contexte dans lequel se pose aujourd’hui la question de l’éducation : nature de la crise (1), monde problématique (2),  question des repères (3), nécessité de boussole et de carte (4). A mi-parcours le cadre est posé. Dans le monde problématique qui est le nôtre « où les places et les rôles ne sont pas déterminés d’avance et où l’impératif catégorique est celui d’être soi » la transmission ne peut relever ni du commandement, ni de l’imitation mais d’un travail constant de problématisation. Une problématisation qui vise à insérer « un itinéraire singulier dans un espace, déjà partiellement au moins exploré et catégorisé » - c’est la « carte » - et à polariser l’espace réflexif « entre problème et solution  et entre données et conditions » - c’est la boussole.

     Les chapitres suivants focalisent sur les difficultés de l’exercice pour qui prétend éduquer : articuler doute et certitude, se situer entre intégrisme et relativisme, culture et barbarie, projet normatif et projet émancipateur. De multiples références, dont Bachelard, Dewey, Wittgenstein, Rousseau, Meyer … sont convoquées pour appuyer la démonstration.

     Nous avons changé de monde, nous dit l’auteur. Prenons-en acte. Nous sommes passés de celui des « terriens », organisés autour de points fixes, à celui de « marins » embarqués dans un flux héraclitéen qui doivent « apprivoiser le devenir » grâce aux  boussoles et cartes transmises par l’expérience, la culture. C’est toute la philosophie de l’éducation qui est à repenser dans cette perspective. Ce que propose Michel Fabre n’est pas si éloigné de ce que préconisait naguère Edgar Morin[1] : « il importe d’être réaliste au sens complexe : comprendre l’incertitude du réel, savoir qu’il y a du possible encore invisible dans le réel […]  sachons donc espérer en l’inespéré et œuvrer pour l’improbable. » 

     Promouvoir l’ethos de la problématisation : telle est l’exigence, selon l’auteur, pour les éducateurs d’aujourd’hui.

     Nicole Priou 



     

    [1] Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur, UNESCO, 1999

     
     

     


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  •  A l'occasion d'une conférence dans un établissement scolaire en décembre 2011, pour un public d'enseignants, de parents et l'ensemble du personnel de l'école, les notes qui suivent , support de mon propos

    Transmettre : partager des valeurs, susciter des libertés : « Donner le goût de l’avenir »

      

    Tout éducateur qu’il soit parent, enseignant, professionnel en contact avec des jeunes se pose forcément la question de la « marque » qu’il imprime en direction des plus jeunes générations, de la trace qu’il laisse.

    Et c’est le propre de toute génération de vivre ce passage de relais avec une certaine angoisse, voire avec que la sociologue Anne Barrère nomme des « paniques morales »

    Socrate, 450 ans avant JC, Hésiode 720 ans avant JC ont tenu des propos sur la jeunesse de leur temps qu’on croirait sortis d’une publication contemporaine : « notre jeunesse est mal élevée, elle se moque de l’autorité et n’a aucune espèce de respect pour les anciens » « je n’ai plus aucun espoir pour l’avenir de notre pays si la jeunesse d’aujourd’hui prend le commandement demain parce que cette jeunesse est insupportable, sans retenue, simplement terrible »

    Premier point d’attention donc : élargir les perspectives, prendre un peu de recul, tenter de ne pas juger notre époque avec un prisme déformant et ne pas conclure trop vite que nous sommes dans la décadence, la perte des repères, la fin de l’âge d’or

    Deuxième point d’attention : s’obliger à un effort de lucidité vis-à-vis de nous-mêmes. Les jeunes que nous jugeons parfois avec bien peu d’indulgence ne se sont pas fabriqués tout seuls. Que disons-nous de nous, générations de leurs grands parents, de leurs parents quand nous parlons d’eux ? Quelle part de responsabilité, en tant qu’éducateurs, portons-nous face à ce qu’on leur reproche, ou ce qu’on déplore ? C’est sans doute l’expérience de l’étrangeté, de l’étonnement – ne pas se reconnaître dans ceux qu’on a engendrés - qui génère le sentiment d’une « crise » de la transmission. La question se pose moins quand on se reconnait dans ceux auxquels on est censés transmettre. Pensons à Antoine Prost, historien de l’éducation, qui dit avec humour ou malice – c’est selon – « ce que les profs savent le mieux faire c’est se reproduire à savoir faire de futurs profs ». Nous sommes en quête du même. Et pourtant … un peu de recul, la prise d’appui sur les travaux scientifiques (historiens, sociologues, anthropologues …)  permettent de faire le constat qu’une civilisation un métier qui se reproduisent à l’identique se nécrosent et prennent le risque de disparaitre. Pour durer il faut bouger. Pas changer pour changer. Changer pour rester fidèle à ce qui nous importe et qui ne peut que prendre des formes différentes si tout bouge autour.

     Pour dire les choses autrement qu’est ce qui nous fait dire qu’il y a crise de la transmission ? Sommes-nous capables de nommer des éléments factuels appuyés sur des analyses qui montreraient que la transmission ne prend pas les mêmes formes aujourd’hui qu’hier ? Ou est-ce le sentiment de ne pas nous reconnaître dans les générations qui nous suivent qui provoque nos « paniques morales » ?

     Troisième point : tous les discours sur la transmission ne se superposent pas. Mon propos sera un point de vue parmi d’autres. Je l’assume en tant que point de vue qui s’est construit à partir d’une expérience personnelle et professionnelle, à travers des travaux de recherche (un colloque à l’ISP, une recherche sur la transmission du métier entre experts et novice et de nombreuses lectures. J’ai beaucoup utilisé pour préparer ce travail les actes des semaines sociales de 2005 « Transmettre : partager des valeurs, susciter des libertés », deux ouvrages récents celui de Michel Fabre « Eduquer pour un monde problématique » celui de Anne Barrère « L’éducation buissonnière, quand les jeunes se forment par eux-mêmes » et je me suis appuyée aussi sur la coordination récente d’un dossier des « Cahiers pédagogiques » : culture de l’école, cultures des jeunes »

    Transmettre : donner le goût de l’avenir. J’ai choisi ce titre repris à l’intervention de Jean-Claude Guillebaud aux semaines sociales. Transmettre, ce n’est pas seulement se retourner vers le passé, c’est aussi et surtout construire l’avenir : « Espérer en l’élève, c’est aimer son avenir »

    La  visée exprimée dans cette citation de Jean Rostand, reprise par Philippe Perrenoud « Former les esprits sans les conformer, les enrichir sans les endoctriner, les armer sans les enrôler, leur communiquer une force, les séduire au vrai pour les amener à leur propre vérité, leur donner le meilleur de soi sans attendre ce salaire qu’est la ressemblance. » me semble pouvoir donner le ton de ce sur quoi je souhaite insister dans cette présentation. Je l’ai choisie parce qu’elle me semble illustrative de la ligne de crête nécessaire à tenir entre pour que l’entreprise d’éducation conserve sa dimension éthique c'est-à-dire préserve la liberté de l’autre. Car toute entreprise éducative navigue toujours entre « domestiquer et affranchir » pour reprendre le beau titre d’un ouvrage déjà ancien de Daniel Hameline (Le domestique et l’affranchi)

    Vu du côté de l’éduqué on peut aussi être attentif à ce propos de Goethe cité par Freud  « Ce que tu as hérité de tes pères, acquiers-le afin de le posséder ! ». Une façon de mettre d’entrée de jeu en évidence l’idée que la volonté de transmettre ne suffit pas pour que la transmission s’opère : il y faut aussi la participation active du destinataire. Meirieu ne dit pas des choses très différentes lorsqu’il dit « Ce n’est pas parce que j’enseigne que mes élèves apprennent ».une façon de souligner que l’éducateur, l’enseignant ne sont pas tout puissants et que sans la volonté et l’adhésion de l’élève, de l’éduqué, rien ne se passe. Or ce versant n’est pas forcément présent dans les définitions courantes de « transmettre » :

     « faire passer ce que l’on possède en la possession d’un autre » Littré

     « Faire passer quelque chose à ceux qui viennent ensuite, à ses descendants, à la postérité.  Communiquer quelque chose à quelqu'un après l'avoir reçu » Larousse 

     « faire passer, donner à quelqu'un une chose que l'on possède Léguer » Le dictionnaire.com

     « communiquer, conduire, enseigner, fournir, propager, révéler, transférer, véhiculer,
    céder » Dictionnaire des synonymes

    Si les représentations les plus communes mettent spontanément le projecteur du côté de l’intention de transmettre et du rôle de l’éducateur il est sans doute important d’allumer d’entrée de jeu quelques clignotants pour ne pas laisser dans l’ombre d’autres aspects tout aussi importants

    Premier clignotant : transmission n’est pas reproduction. Dans un ouvrage devenu un classique en ethnologie, Geneviève Delbos et Paul Jorion ( 1990 ) montrent que le savoir ne se transmet pas : il se reconstitue à chaque génération.  Autrement dit, une transmission n’est jamais une reproduction à l’identique, peut-être même n’est-elle qu’une traduction voire une trahison. Yves Clot, chercheur du CNAM qui travaille, entre autres objets de recherche, sur la transmission du métier, partage les mêmes analyses : « En fait, l'expérience collective ne se transmet pas, elle dure et perdure sous la forme d'une évolution ininterrompue. Elle peut se perdre aussi. Mais quoi qu'il en soit, chacun ne reçoit pas en partage une expérience prête à l'usage 

    Deuxième clignotant : ce qui se transmet « échappe » pour partie à l’intention de l’éducateur. L’acte de transmettre n’est pas toujours intentionnel, conscient, délibéré : on peut transmettre à son insu, parfois contre son gré et on peut ne pas réussir à transmettre ce qui nous tient à cœur : «… il y a une part d'intransmissible, c'est à dire où la maîtrise de ce que nous transmettons, ou non, ne nous appartient pas » Olivier Abel . Que transmettons-nous à nos enfants ? se demandent Marc Ferro et Philippe Jeammet, Ce que l’on sait, ce que l’on est, ce que l’on croit... Gardons nous d’une confusion, communiquer n’est pas transmettre. La transmission n’est pas simple acheminement d’un message ou d’un contenu : toujours imprévisible, elle excède la signification explicite des mots, pour s’inscrire dans un horizon de sens inédit.

    Transmettre s’opère dans une relation et engage tout autant le désir de recevoir que la volonté de donner, la transmission se fait à deux et altère émetteur et destinataire. Sans légitimité et reconnaissance de celui qui transmet (qui « fait autorité ») les chances de transmission sont fortement compromises

    Troisième clignotant : les définitions courantes nous orientent vers le passé et tendraient à réduire l’acte de transmettre au legs, à l’héritage. Or, transmettre n’est pas exclusivement orienté vers le passé : « l’origine n’est pas derrière nous mais devant nous »(Heidegger). Le partage de projets, de vision d’avenir, le positionnement par rapport à un horizon de sens contribuent tout autant au travail de transmission (à condition d’abandonner « la quête illusoire du définitif » au profit de « la recherche, toujours inaboutie, du mieux. (Philippe Corcuff) 

    Quatrième clignotant : On se condamne souvent à l’impuissance par polarisation sur la transmission de réponses … là où il serait sans doute fondamental de transmettre des questions.  Or, « La réponse est le malheur de la question » nous dit Eugène Enriquez

    Un dernier clignotant : que s’agit-il de transmettre ? La réponse est souvent du côté de « valeurs » ; « connaissances », « règles de vie ». Si nous allions voir aussi du côté de l’être ? un être qui pense, qui décide, qui fait des choix, qui répond de ses actes, qui s’inscrit dans la construction de « plus d’humanité ».  Transmettre : susciter des libertés « Sapere aude » ose penser par toi-même : telle était la devise des Lumières. « l’enjeu de la transmission porte d’abord et bien évidemment sur la possibilité d’une énonciation. Que faire d’un sujet capable de disposer et de gérer des informations, qui s’avérerait par contre incapable de les faire siennes, de veiller à leur authenticité, d’inventer à partir d’elles, bref de les subjectiver ? Il ne faut pas être grand clerc pour prédire à une transmission ainsi réduite à un bagage – fût-il un coffre-fort – sans la clef pour en permettre l’accès, un destin de consumation » (Jean-Pierre Lebrun, psychanalyste)

     « Que s'agit-il de transmettre à nos enfants ? Une chose à la fois beaucoup plus simple et beaucoup intimidante que des valeurs. Il s'agit de leur transmettre un projet d'humanité Un projet, et non pas des dogmes, des interdits, des recommandations disciplinaires. Marie Balmary dit cette belle phrase dans un de ses livres : "l'humanité n'est pas héréditaire". Notre humanité, l'humanité de l'homme, notre vivre ensemble, se réinventent à chaque fois. Mais ce que nous avons à transmettre, c'est la volonté de le réinventer. » Jean Claude Guillebaud, semaines sociales 2005

    « Pour moi l’enjeu est bien de permettre la communication des jeunes avec leur environnement pour le comprendre, le penser, s’y projeter, y poursuivre son extension, en d’autres termes être au monde » Joël Lebeaume, colloque Vygotski, Bordeaux, octobre 2011 

    Pourquoi parler de « crise » de la transmission  ?

    Crise ? De quoi s’agit-il ?

    "Notre monde est devenu problématique. […] nous avons perdu les certitudes des sociétés traditionnelles et peut-être aussi quelques-uns des espoirs que la modernité nous avait légués"  Michel Fabre « Eduquer pour un monde problématique »

    Nous vivons un temps sans promesses. Selon Myriam Revault d’Allonnes l’autorité du passé et l’autorité du futur se sont l’une et l’autre effondrées : « La tradition a perdu sa capacité à configurer le futur, le passé n’éclairant plus l’avenir, c’est à l’avenir qu’il revenait d’autoriser le présent. La transmission avait pris le relais de la tradition ou encore la postérité avait remplacé les ancêtres ». La « crise de l’autorité » a pris aujourd’hui un caractère paroxystique en atteignant notamment des institutions comme la famille, l’école ou même la justice. Non seulement parce que le fil de la tradition a été rompu mais surtout parce que s’est effondrée l’autorité du futur »

    S’il y a crise ce serait donc parce que nous vivons dans un monde incertain, imprédictible, que les repères ne peuvent donc pas prendre la même forme que dans les sociétés traditionnelles : "si le monde est incertain et si la seule certitude qu’on peut avoir de l’avenir c’est qu’il sera différent du présent , l’idée selon laquelle les adultes ont à tracer la route des jeunes générations devient inaudible". Michel Fabre

    S’il y a crise c’est aussi parce que le passage  des théocraties (autorité de droit divin) aux régimes démocratiques a modifié les places, l’ordre des choses : "Nul ne peut plus se concevoir, en tant que citoyen, commandé par l’au-delà. La Cité de l’homme est l’œuvre de l’homme. (…) Nous sommes devenus, en un mot, métaphysiquement démocrates".  Marcel Gauchet, La religion dans la démocratie, 1988.

    "La démocratie est une forme de société dans laquelle les hommes reconnaissent qu’il n’y a pas de garant ultime de l’ordre social… dans laquelle les hommes consentent à vivre dans l’épreuve de l’incertitude. (…) Dans ces conditions, le lieu du pouvoir est reconnu comme un lieu vide. (…) Là où s’indique un lieu vide, l’exercice du pouvoir est matière à un débat interminable. (…) " Claude Lefort, Le temps présent, Belin, 2007.

    Dans ce contexte on assiste à une perte de crédit des Institutions qui ne peuvent plus s’imposer d’une position de surplomb et dicter leur loi. François Dubet qui a travaillé sur le déclin de l’Institution (titre d’un de ses ouvrages) insiste sur l’affaiblissement des « programmes institutionnels » qui « intégraient » les individus et observe le passage d’une logique d’intégration à une logique de cohésion pour faire société

    Un contexte qui voit s’affirmer aussi le règne de l’individu dans le passage des sociétés holistes aux sociétés individualistes. Une place parfois lourde à porter : pensons à ce que développe Alain Erhenberg sur « la fatigue d’être soi ». Dans des sociétés démocratiques où les droits de l’homme mais aussi les intérêts particuliers occupent une place centrale que devient le « bien commun » ?  « Une chose est de demander de l’éducation, autre chose est d’être capable de la recevoir. A toute entrée dans un savoir transmissible, donc formalisé, anonyme, collectif, l’individu contemporain oppose les réquisitions de sa singularité. « Et moi là-dedans » demande-t-il. Quel sens peut-il y avoir à apprendre cela ? Et pas quel sens en général, quel sens pour moi.[...] Comme si d’avance l’individu pouvait savoir ce qu’il veut apprendre. Apprendre c’est précisément se soumettre au décentrement, entrer dans quelque chose qui n’est pour vous que pour autant qu’elle vaut pour n’importe qui d’autre. C’est cette extériorité impersonnelle de la méthode qui tend à être refusée. Il ne faut pas se cacher l’affrontement avec l’impossible qui est en jeu sur le front éducatif. »  Marcel Gauchet

    Lien social et individualisme sont souvent dans  une difficile articulation. (cf. l’ouvrage de François Flahaut : Où est passé le bien commun ?)  Nous sommes souvent dans des attitudes paradoxales : tendance à revendiquer davantage de liberté personnelle et … des règles accrues pour réguler le comportement des autres ; tension entre les valeurs de l’individualisme et les exigences du lien social : chacun souhaite qu’on le laisse faire ce qu’il veut tout en demandant que les autres n’entament pas sa liberté

    Notre époque se caractérise aussi par une précarisation du statut de l’adulte et une  valorisation du statut de l’enfant. Cette perte de crédit du statut de l’adulte et ce renforcement de celui de l’enfant ne sont pas sans modifier les rapports entre les générations, dans un contexte où, de plus le passage du rural à l’urbain, le travail des femmes, l’allongement de la scolarité obligatoire ont amplifié l’impact des relations « entre pairs » et diminué la « tutelle » des adultes. Ces changements introduisent de nouveaux équilibres entre horizontalité et verticalité

    Toutes les organisations sont porteuses de deux formes d’autorité. L’une est verticale et hiérarchisée ; elle est liée uniquement aux places qu’occupent les individus les uns par rapport aux autres selon un organigramme. L’autre, immanente, naît de l’auto-organisation, des règles que les groupes se donnent …ou des conséquences en terme d’exclusion lorsqu’ils ne s’en donnent pas.

    L’école, en tant qu’institution est bien entendu traversée par ces nouvelles données liées à la crise de la transmission

    C’est de plus en plus une institution « désacralisée » aux yeux des usagers (élèves et parents d’élèves). Elle vit –comme les autres institutions – une perte de crédit, renforcée par son incapacité à réduire les inégalités, par l’échec de la démocratisation, par la perte de son rôle d’ascenseur social. Les comparaisons internationales (PISA, PIRLS) , les travaux récents d’équipes de chercheurs tendent à montrer que l’école française est bonne pour les bons élèves, assez peu performante pour les élèves en difficulté qu’elle tend à marginaliser de plus en plus ces dernières années.

    Elle est de plus traversée par des tensions nées d’un manque de consensus durable sur ses finalités : conflits entre les tenants d’une culture « gratuite » ou utilitaire, patrimoniale ou en prise sur son temps ; difficile articulation des trois missions de l’école « éduquer, instruire, socialiser ». Et pourtant nous disait il y a déjà plus de dix ans Philippe Perrenoud : « Si un jeune sort de l’école obligatoire persuadé que les filles, les noirs ou les musulmans sont des catégories inférieures, peu importe qu’il sache la grammaire, l’algèbre ou une langue étrangère. L’école aura raté son coup dramatiquement parce qu’aucun des enseignants qui auraient pu intervenir à divers stades du cursus n’aura considéré que c’était prioritaire ».

    Le développement d’internet et des nouveaux médias modifie considérablement les voies d’accès au savoir et le rapport au savoir . Dans la masse des informations qui circulent et des savoirs qui s’élaborent on observe peu de savoirs pérennes, beaucoup de savoirs provisoires voire éphémères : selon André Giordan 90 % des savoirs que les élèves d’aujourd’hui seront conduits à utiliser à l’âge adulte ne sont pas encore produits à ce jour.

    L’école n’a plus le monopole de leur diffusion.  Les modalités de son appropriation ne sont pas consensuelles entre partisans d’un enseignement traditionnel ou défenseurs des méthodes actives.

    Quelle autorité des « maîtres » dans une institution fragilisée où l’autorité de l’adulte est à conquérir en permanence ? Elle subit, bien entendu,  les conséquences du discrédit général du statut de l’adulte, de la remise en cause des trois P : le père, le patron, le professeur. Elle est affectée aussi par de nouveaux modes de fonctionnement en dehors de la sphère de l’école : rapport au travail, à l’effort, au différé, pratique de la négociation influencent le mode d’exercice de l’autorité à l’école

    Transmettre : mission impossible ?

    Oui, si … La transmission est pensée comme la prescription d’une tradition figée Elle relève davantage d’une logique de la reproduction que d’une dynamique de construction.Elle se crispe sur ce qu’elle imagine bon pour les générations à venir …en dehors d’eux

    Non, si ceux qui transmettent :

    •  mettent à disposition « cartes et boussole »
    •   établissent une relation de confiance,
    •  sont perçus comme légitimes
    •  autorisent la reconstruction, la re-   conception de ce qui est transmis
    •  sont davantage mobilisés sur un avenir à construire qu’un passé à préserver
    •  sont  à l’écoute des significations ouvertes  qui appellent à l’initiative et à l’invention de l’inédit.  

    Quelques conditions : 

    • Accepter la fragilité et l’incertitude : Nous sommes à la fois des héritiers et des continuateurs, mais nous sommes aussi des « commenceurs". Et nous ne pouvons commencer que si nous récusons ce mythe de la table rase. "Commencer, c'est commencer de continuer", dit Edouard Saïd. Et j'ajoute la formule inverse : continuer, c'est aussi continuer de commencer. » Myriam Revault d’Allones .
    • Croire, qu’il y a du possible encore invisible dans le réel comme nous y invite Edgar Morin, "il importe d’être réaliste au sens complexe : comprendre l’incertitude du réel, savoir qu’il y a du possible encore invisible dans le réel. "Dans l’histoire, nous avons vu souvent, hélas, que le possible devient impossible. Mais nous avons vu aussi que l’inespéré devient possible et se réalise ; nous avons souvent vu que l’improbable se réalise plutôt que le probable ; sachons donc espérer en l’inespéré et oeuvrer pour l’improbable."
    •  Réhabiliter les collectifs : « Ce qui frappe, c’est sans doute l’importance des collectifs, entre pairs et avec des adultes, de leurs ambiances qualitatives, comme supports d’implication et d’engagement. Ce qui frappe aussi, c’est la capacité de certains à faire de certaines activités de vrais tuteurs de leur construction personnelle. » Anne Barrère , L’éducation buissonnière   

    Que faire ? Eugène Enriquez nous indique trois pistes 

    • parler : c’est la première sublimation, sublimer c’est dépasser la logique des pulsions
    • être à la recherche constante d’une vérité dont on sait qu’on ne l’atteindra jamais : intégrer qu’un éducateur n’incarne pas une vérité, un savoir  ( qui sont dans une position tierce )
    • accepter le fait que nous soyons irréductibles les uns aux autres.

    Nous pourrons ainsi accéder à un comportement éthique. Si la morale prescrit, l’éthique ne prescrit pas. Elle engage à se reconnaître en mouvement. L’éducation c’est le processus infini par lequel nous éduquons et qui nous permet de nous éduquer nous-mêmes pour devenir de plus en plus humain. 

      

    Pour redonner le goût de l’avenir Jean Claude Guillebaud nous encourage à ce qu’il nomme quatre sorties nécessaires » :

     Sortir de la stupeur et des jérémiades

    "Que le contenu de la transmission pose problème parce que les valeurs sont évolutives, c'est une évidence. Quelquefois, les valeurs d'hier, du vieux monde dans  lequel nous vivons encore pour l'essentiel, ne sont pas exactement celles du nouveau dans lequel sont déjà nos enfants. Ce hiatus là peut être levé quand on cherche à transmettre un vouloir vivre ensemble plutôt que des valeurs".

    Sortir du deuil de l’espérance Nous sommes en effet en deuil de l'action. Notre vision de la temporalité et du futur s'est détraquée. Le réinvestir se hace camino al andar

    Sortir du  vide c’est quand une croyance est faible qu’elle devient agressive Quand elle  est immature, incertaine d’elle-même, elle se barricade, elle n’est pas capable alors d’écouter l’autre croyance. Il nous faut donc réhabiliter la conviction sans en faire une forteresse.

    Sortir de l’hypocrisie en mettant en cohérence le dire et le faire, en ne demandant pas que soient appliquées aux autres des règles ou des exigences dont on ne voudrait pas soi même

     

    Pour continuer à penser : "Trois rabbins discutent sur le point de savoir qui est juif – vieux débat. Le premier rabbin répond, comme on le sait, « est juif celui qui a une mère juive ». Le second répond « en réalité, le transmetteur de la Loi, de la culture, c’est le père ». Les deux premiers rabbins se chamaillent alors entre eux. Le troisième intervient et dit : « est juif celui qui a des enfants juifs"  JCG

      

    Quelques fils à tirer

    • Après ce parcours forcément rapide du côté d’un essai de compréhension de la façon dont se pose la question de la transmission aujourd’hui  je mettrai quelques points d’insistance sur ce qui, de mon point de vue, peut donner une direction à notre action quotidienne 
    •   Ne pas oublier que la transmission s’effectue dans une relation et que si la relation est affectée la transmission l’est aussi. C’est vrai des personnes, c’est vrai des institutions « Quand une société ne peut pas enseigner, c’est que cette société ne peut pas s’enseigner ». l’un des premiers défis est de créer une relation de confiance qui rende possible ce travail de transmission Une relation vivante avec une pensée en mouvement qui s’alimente des questions dont elle s’empare
    •  Rendre possible autoriser : c’est l’étymologie du mot autorité qui vient de augere augmenter. On l’oublie trop souvent. Avoir de l’autorité c’est rendre possible, autoriser, permettre à l’autre d’être auteur de ses propres actes ce qui suppose bien évidemment d’être auteur des siens, d’être capable d’en répondre de savoir ce qui les fonde  et non de se comporter en « jouet » de déterminismes multiples (cf. Sartre). Quelles que soient les contraintes il y a toujours des marges de manœuvre à investir. Qu’est-ce que je donne à voir comme éducateur de ce courage de poser des actes dont parle Myriam Revault d’Allonnes ?
    •  Car ce que je donne à voir et à comprendre l’emporte largement sur ce que je dis. Les adolescents sont particulièrement sensibles à la cohérence entre le dire et le faire et repèrent très vite le non verbal dans la communication qui dit l’inverse de ce que les mots affirment. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’on n’a pas droit à l’erreur et  qu’il convient de se poser en adulte « infaillible ». La transmission passe aussi – et surtout – par le partage des doutes et des questions. Elle suppose un lâcher prise, une vigilance par rapport au rêve de toute puissance. Ce que certains nomment une éthique de la fragilité. En sachant que se reconnaître fragile n’entraîne pas pour autant de lâcher sur les convictions qui fondent nos choix et donnent un sens à nos actes. Le lâcher prise n’est pas la démission et l’entrée dans le règne du relativisme mais c’est l’acceptation d’un certain renoncement et de la tentation du pouvoir sur autrui : ce qui vaut pour nous peut ne pas faire sens pour l’autre 
    •  D’où l’importance des cartes et des boussoles : les mettre à disposition mais donner aussi à voir comment on s’en sert soi-même : la boussole comme dialectique du questionnement qui s’appuie sur des certitudes provisoires pour aider à la connaissance du réel et à la conduite de la vie (Michel Fabre), les cartes comme contenus de l’expérience passée tels qu’ils sont sédimentés dans les savoirs et la culture
    •  Donner enfin à voir qu’on ne construit pas tout seul, que les collectifs sont des lieux d’aide au discernement. C’est vrai pour les jeunes. C’est vrai pour les adultes. Ce l’est aussi pour des collectifs intergénérationnels – hélas trop peu nombreux  
    • Tenir  passé et avenir, sens donné et horizon de sens à construire car au bout du compte l’important n’est-il pas de donner aux jeunes générations le goût de l’avenir ? 

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